86Printemps/Primavera 2024
Fulgurances et permanence de l’unanimisme.
Sept études sur l’œuvre de Jules Romains
sous la direction de Alessandra Marangoni
Sommaire / Indice
Alessandra Marangoni, Introduction
Olivier Rony, Récit oral et réalités contemporaines : approches du Vin blanc de la Villette
Augustin Voegele, Jules Romain surréaliste ?
MariaCristina Pedrazzini, Retour à Donogoo-Tonka
Anna Isabell Wörsdörfer, L’éternel retour du faux médecin. Knock sous le signe de l’authentification et de la sérialité
Alessandra Marangoni, Héritage poétique de l’unanimisme. Nouveaux visages de la Muse pédestre
Carminella Biondi, Examen de conscience des Français. Soigner la démocratie pour sauver le monde
Olivier Rony, Récit oral et réalités contemporaines : approches du Vin blanc de la Villette
De ce recueil de nouvelles, paru en 1914 et resté un peu trop dans l’ombre du grand œuvre romanesque de la maturité de Jules Romains, cette étude s’attache d’abord à caractériser le puissant souffle et les résonances sociales, voire le caractère engagé de plusieurs d’entre elles; à s’interroger ensuite sur la présence d’un langage populaire et d’une narration orale très maîtrisés; enfin à souligner l’utilisation d’un arsenal de métaphores et de nombreuses figures de style, qui étaient déjà celles que l’on trouvait à l’œuvre dans le roman publié l’année précédente, Les Copains.
Augustin Voegele, Jules Romain surréaliste ?
Jules Romains n’aimait pas les surréalistes, parce qu’il estimait qu’ils s’étaient faits les complices de la crise morale que l’Occident traversait depuis 1914. Ainsi, dans Les Hommes de bonne volonté, le portrait de Vorge (cousin de papier de Breton et d’Aragon) n’est guère flatteur : sa promiscuité criminelle avec le tueur en série Quinette en dit long sur sa déchéance morale ; ses méditations lyriques sur les « montres » parisiennes l’apparentent aux paranoïaques ; et ses poèmes frappent par l’incongruité de leur poétique. Soit. Mais Romains lui-même n’a-t-il pas fréquenté Landru ? Comment ne pas noter par ailleurs que les intuitions surnaturelles de Vorge ressemblent à celles de Romains faisant l’expérience du divin au sein d’une foule éphémère ? Enfin, il faut bien dire que les poèmes de Vorge constituent des pastiches très réussis, qui viennent de plus pervertir la poétique du roman dans lequel ils sont insérés.
MariaCristina Pedrazzini, Retour à Donogoo-Tonka
Dans cet article nous nous penchons sur Donogoo-Tonka ou les miracles de la science. Conte cinématographique de Jules Romains, écrit et publié entre 1919 et 1920, d’abord dans La Nouvelle Revue française et ensuite en volume chez Gallimard. Ce texte fournira le scénario pour la pièce Donogoo réalisée par Louis Jouvet au théâtre Pigalle en 1930. Nous proposons une étude philologico-herméneutique de l’œuvre dans le contexte du modernisme qui a vu son essor en France dans les deux premières décennies du XXe siècle. Notre propos s’articule en cinq parties : Donogoo-Tonka est 1) une œuvre unanimiste ; 2) une campagne publicitaire ; 3) un conte cinématographique ; 4) une mystification ; 5) une chasse aux sources et (6) une parodie. Notre point de vue marie philologie, intertextualité, intermédialité et herméneutique.
Anna Isabell Wörsdörfer, L’éternel retour du faux médecin. Knock sous le signe de l’authentification et de la sérialité
L’article discute le docteur Knock de Romains comme exemple du type du faux médecin, qui a été marqué par les satires de Molière. Dans l’analyse, Knock est présenté comme expert sous deux aspects : son accréditation qui inspire confiance aux interlocuteurs, et ses implications sérielles concernant sa carrière professionnelle. Dans un premier temps, nous montrerons comment le rôle d’expert résulte d’une interaction entre performance du protagoniste et réception des patients. Il est également mis en évidence comment la réception des spectateurs démasque les véritables intentions de Knock. Dans un deuxième temps, la sérialité qui découle de la réussite du jeu de rôle du médecin est discutée : comme nous verrons, elle est exagérée de manière satirique dans l’intrigue en tant que contagion de l’idée de maladie. En revanche, dans l’histoire de la réception filmique, l’adaptation répétée de Knock constitue une preuve du succès et de la pertinence du sujet.
Alessandra Marangoni, Héritage poétique de l’unanimisme. Nouveaux visages de la Muse pédestre
La poésie de Jules Romains a-t-elle eu des descendants ? En quoi consiste la leçon unanimiste ? Cette étude recherche l’héritage poétique de l’unanimisme chez plusieurs poètes à peu près contemporains de Romains. Des noms célèbres d’écrivains sont prononcés – Larbaud, Jouve, Apollinaire, Aragon, Fargue, Éluard qui, à un moment de leur parcours poétique, ont croisé la poésie unanimiste, avec son nouveau regard porté sur la Ville et son intuition de la force psychique des groupes. L’exemple de Romains ouvre bien des horizons et laisse entrevoir de nouvelles perspectives, offrant un prototype de poème déambulatoire et de captivantes amorces de poème-conversation. Le tout infusant, en ce début du XXe siècle, une nouvelle vie à l’ancienne Muse pédestre.
Carminella Biondi, Examen de conscience des Français. Soigner la démocratie pour sauver le monde
Examen de conscience des Français (1954), étant placé au cœur de la décennie 1950 qui voit se fixer la dernière pensée de Jules Romains, nous permet de saisir l’aboutissement d’un parcours intellectuel qui subit au cours des années une évolution remarquable. En effet, si d’un côté cette pensée se situe en ligne de continuité avec le passé car on y retrouve ce regard d’ensemble sur les multitudes qui est la marque de fabrique de toute l’œuvre de l’écrivain, de l’autre ce regard est de plus en plus désabusé. Dans la probable précipitation vers l’abîme de notre planète, une France fragile, à laquelle Romains semble assigner un rôle qu’elle est bien loin d’avoir encore, serait, du moins en partie, responsable de cette chute. Voilà pourquoi il est urgent qu’elle fasse un « examen de conscience », qu’elle redresse la barre, et voilà aussi l’intérêt d’un texte qui focalise dans un lieu, et sur un thème crucial, celui de la démocratie, les problèmes de notre humanité face à l’apocalypse.
Olivier Rony, Oral narrative and contemporary realities : perspectives on Le Vin blanc de la Villette
Of this collection of short stories, published in 1914 and somewhat overshadowed by Jules Romains’ great mature novel, this study aims first to specify its powerful inspiration and social resonance, and even the engaging nature of several of them ; then to question the use of popular language and of a thoroughly mastered oral narration ; finally to highlight the use of an inventory of metaphors and numerous style figures that were already at work in the novel published a year before, Les Copains.
Augustin Voegele, Is Jules Romain surréaliste?
Jules Romains did not like the Surrealists, because he felt that they had become accomplices in the moral crisis that Europe had been going through since 1914. Thus, in Les Hommes de bonne volonté, the portrait of Vorge (who bears a strong resemblance to Breton and Aragon) is not flattering : his criminal promiscuity with the serial killer Quinette reveals much about his moral degradation ; his lyrical meditations on Parisian shop windows make him seem like a paranoid ; and his poems are strikingly incongruous. But didn’t Romains himself know Landru ? How can we not note, moreover, that Vorge’s supernatural intuitions resemble those of Romains experiencing epiphanies in the midst of an ephemeral crowd ? Finally, it must be said that Vorge’s poems are very good pastiches, which also pervert the poetics of the novel in which they are inserted.
MariaCristina Pedrazzini, Donogoo-Tonka
In this paper we study Jules Romains’ Donogoo-Tonka ou les miracles de la science. Conte cinématographique written and published between 1919 and 1920, first in La Nouvelle Revue française and then in book form by Gallimard. This text will give the scenario for Louis Jouvet’s play Donogoo staged at théâtre Pigalle in 1930. We propose a philological and hermeneutical study of Romains’ text in the French modernist context of the years 1900-1920. Our paper is divided in five parts : Donogoo-Tonka is 1) a unanimist work ; 2) an advertising campaign; 3) a cinematographic tale; 4) a mystification ; 5) a rush for sources and (6) a parody. Our perspective marries philology, intertextuality, intermediality and hermeneutics.
Anna Isabell Wörsdörfer, The eternal return of the fake physician. Knock in the mirror of authentication and seriality
The article discusses Romains’ Doctor Knock as an example of the type of the false physician shaped by Molière’s satires. In the analysis, Knock is presented as an expert from two aspects : his authentication, which inspires confidence in his interlocutors, and its serial implications in relation to his professional career. First, it is shown how the expert role results from an interaction between the protagonist’s performance and his patients’ reception. The analysis also elaborates how the audience’s reception exposes Knock’s true intentions. Second, the seriality that results from the doctor’s successful role-playing is discussed : as we will see, it is satirically exaggerated in the plot as contagion with the idea of disease. In the history of film reception, however, the repeated adaptation of Knock is proof of the success and relevance of the theme.
Alessandra Marangoni, The Poetic Heritage of Unanimism. A new life for the Walking Muse
Did Jules Romains, the founder of Unanimism, have descendants? How can we recognize the Unanimist Poetry legacy? This study researches the poetic heritage of Unanimism among Poets contemporary with Romains. Several known writers like Larbaud, Jouve, Apollinaire, Aragon, Fargue, Éluard are mentioned, as, at one point in their poetic adventure, they encountered Unanimist Poetry, with its new look at the City and its intuition of the collective reality of groups. From 1905 to 1910, Romains’s avant-gardist poetry opens many horizons and build new perspectives, providing a prototype of an ambulatory poem and captivating beginnings of a conversation poem, thus infusing a new life into the ancient Walking Muse, at the very beginning of the 20th Century.
Carminella Biondi, Examen de conscience des Français. Caring for democracy to save the world
Examen de conscience des Français (1954), set at the heart of the 1950s, when Jules Romains’ last thought was fixed, allows us to grasp the culmination of an intellectual journey that underwent a remarkable evolution over the years. On the one hand, Romains’ ideas were in continuity with the past, since they reflected the overall view of the multitudes that was the hallmark of the writer’s entire body of work ; on the other, it was increasingly disillusioned. In our planet’s probable precipitous descent into the abyss, a fragile France, to which Romains seems to assign a role that it is far from having yet, is at least partly responsible for this fall. This is why France urgently needs to « examine its conscience » and get back on track, and this is also the interest of a text that focuses in one place, and on one crucial theme – democracy – the problems of our humanity in the face of the apocalypse.
Olivier Rony
Olivier Rony, professeur de lettres, est l’un des meilleurs connaisseurs de l’oeuvre de Jules Romains, dont il a édité la correspondance avec Jacques Copeau (Flammarion, 1976), préfacé la réédition des Hommes de bonne volonté dans la collection « Bouquins » (Robert Laffont, 1987), avant de publier en 1993 sa biographie, Jules Romains ou l’appel au monde (Robert Laffont, Grand Prix de la critique de l’Académie française). On lui doit aussi Les Années-roman, anthologie de la critique 1919-1939 (Flammarion, 1997) et la Correspondance Jacques Copeau-Louis Jouvet, parue dans les « Cahiers de la NRF » (Gallimard, 2013). En 2021, il a fait paraître Louis Jouvet, biographie du créateur de Knock dans la collection « Folio Biographies » (Gallimard) qui a reçu le Prix Renaudot Poche. <o.rony@free.fr>
Augustin Voegele
Docteur en littérature française et professeur agrégé de Lettres modernes, Augustin Voegele est l’auteur d’une cinquantaine d’articles et de trois essais : Morales de la fiction, Orizons, 2016 ; De l’unanimisme au fantastique. Jules Romains devant l’extraordinaire, Peter Lang, 2019 ; Musique et désir chez André Gide, Classiques Garnier, 2020. Il a par ailleurs codirigé plusieurs volumes collectifs : L’Art, machine à voyager dans le temps, Fabula – Les Colloques, 2017 ; Traduction et interculturalité, Peter Lang, 2019 ; Vin et altérité, Éditions et Presses universitaires de Reims, 2019 ; Écrire avec Chopin, Champion, 2020 ; Le Prix Nobel de littérature et l’Europe, Peter Lang, 2021 ; « Amitiés vives ». L’amitié dans les correspondances d’écrivains, Éditions et Presses universitaires de Reims, 2022. Enfin, également pianiste, il a enregistré quatre disques : Reynaldo Ha Hahn, 2012 ; De Chopin à Balakirev et Scriabine, 2014 ; et Chopin par André Gide, 2018. <augustinvoegele@yahoo.fr>
MariaCristina Pedrazzini
MariaCristina Pedrazzini est enseignante-chercheuse à l’Università Cattolica del Sacro Cuore de Milan depuis février 2005. Elle s’occupe de la littérature française du XIXe et XXe siècles. Pour le XIXe siècle, elle a travaillé sur le Naturisme et sur son théâtre, sur la synonymie et le Parnasse, sur le thème de la nourriture dans Madame Bovary ; sur les traductions italiennes des nouvelles fantastiques de Théophile Gautier entre la fin du XIXe et le début du XXe siècles ; sur les guides touristiques parisiens post-obsidionaux. Pour le XXe siècle, elle a d’abord analysé la comparaison et ensuite le thème de la pudeur dans Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline. Ces dernières années, elle a publié des articles sur la Grande Guerre − Barbusse, Deauville, Dorgelès, Rabier, et sur Jean Giraudoux − avec une attention spéciale pour certains thèmes et pour les perspectives linguistiques et rhétoriques des œuvres analysées. <mariacristina.pedrazzini@unicatt.it>
Anna Isabell Wörsdörfer
Anna Isabell Wörsdörfer est directrice du projet de recherche « Echtes Hexenwerk und falscher Zauber. Die Inszenierung von Magie im spanischen und französischen Theater des 17. Jahrhunderts » (soutenu par la Deutsche Forschungsgemeinschaft) et assistante de recherche à l’université de Münster (Allemagne). Ses recherches portent notamment sur la théâtralité et la magie, les cultures de la mémoire, la réception littéraire du Moyen Âge et de la Révolution française ainsi que le récit sériel. Sélection de publications : Von heroischen Bürgern, tapferen Rittern und liebenden Hirten. Literarische Mittelalterbilder im Frankreich des 18. Jahrhunderts, Heidelberg, Winter, 2016 (thèse de doctorat) ; « Zwischen medizinischer Expertise, Spektakel und Kommerz. Rituelle und theatrale Praktiken des Scharlatans », dans A. I. Wörsdörfer, F. Homann (dir.), Kulturelle Performance und künstlerische Aufführung. Zeichenhaftes Handeln zwischen Ritualität und Theatralität, Frankfurt, Lang, 2022, p. 19-28 ; « What if ? Epidemic Discourse and Serial Narration in the Alternate History Series La Révolution (2020) », French Cultural Studies, vol. 33, n. 2, 2022, p. 179-195. <woersdoerfer@uni-muenster.de>
Alessandra Marangoni
Alessandra Marangoni est professeure de littérature française à l’Université de Padoue. Éditrice de René Daumal (Se dégager du scorpion imposé, Poésies et notes inédites 1924-1928, Éolienne, 2014, avec C. Rugafiori) et de Jules Romains (Poèmes unanimistes 1904-1910, Paris, STFM, 2021), elle s’intéresse à la poésie des XIXe et XXe siècles (articles sur les Parnassiens, Baudelaire, Mallarmé, Laforgue, Marinetti, Péguy, Claudel, Jouve) et à l’évolution des formes brèves comme la fable en vers, l’idylle, la tapisserie et le portrait. Ella a étudié les rapports entre groupes d’avant-garde (Unanimisme et Futurisme, Surréalisme et Grand Jeu), la dynamique des échanges entre revues françaises et italiennes du XIXe au XXe siècles (dir., avec J. Schuh, du n. 58 de la Revue des revues et du n. 15 de la « Biblioteca di Studi Francesi ») et coordonne actuellement un volume collectif sur Le Poète prisonnier. De la Révolution à la Seconde Guerre Mondiale (Champion). <alessandra.marangoni@unipd.it>
éritage poétique de l’unanimisme. Nouveaux visages de la Muse pédestre
Carminella Biondi
Carminella Biondi, professeure émérite à l’Université de Bologne, a consacré de nombreux travaux à la littérature esclavagiste et abolitionniste en France au XVIIIe siècle : Mon frère tu es mon esclave (Libreria Goliardica, 1973) ; Ces esclaves sont des hommes ! (Libreria Goliardica, 1979) ; Les colonies ont la parole, anthologie, 2 vol. (L’Harmattan, 2016) ; Colonies, traite et esclavage des noirs dans la presse à la veille de la Révolution, anthologie, 3 vol. (L’Harmattan, 2022). Elle travaille également sur Marguerite Yourcenar : Marguerite Yourcenar ou la quête de perfectionnement (Libreria Goliardica 1997) et Édouard Glissant : Rêver le monde, écrire le monde, avec E. Pessini (Clueb, 2004). <carminella.biondi@unibo.it>
Document/Documento
Francis Ponge, « Qualités de Jules Romains » et « Jules Romains peintre de Paris »
Comptes rendus/Recensioni
G. Philippe, Une certaine gêne à l’égard du style (P. Aron)
J.-M. Moura, La Totalité littéraire. Théories et enjeux de la littérature mondiale (V. Quaranta)
M. Quaghebeur, Histoire, Forme et Sens en littérature. La Belgique francophone, III, L’Évitement (1945-1970) (J. Robaey)
M. Yourcenar, « Zénon, sombre Zénon ». Correspondance 1968-1970, éd. J. Brami, avec R. Poignault, collaboration de B. Blanckeman et C. Gaudin ; éd. préfacée et coordonnée par J. Brami et M. Sarde (C. Biondi)
M. Begliuomini, La Méditerranée de Gabriel Audisio. Cartographie d’une idée (M. C. Gnocchi)
J. Gleize, Balzac ininterrompu (M. Ranieri Martinotti)
Notes de lecture/Schede
ISBN 9788822269584