84Printemps/Primavera 2023
Permanence, renouveau et dépassement
du poème en prose aux XXe et XXIe siècles
sous la direction de Luigi Magno et Andrea Schellino
Sommaire / Indice
Luigi Magno, Andrea Schellino, Introduction
Christian Doumet, En prose
Adrien Cavallaro, Les « Proses » de Segalen : l’origine et la distance
Anton Hureaux, Le poème en prose face à l’histoire : l’exemple de Seuls demeurent de René Char
Jean-Michel Gouvard, Le poème en prose, une pratique entropique
Michel Murat, Poème en prose, fin de partie
Luigi Magno, Mécaniques du vivant. Notes sur Susanne Doppelt #1
Christian Doumet, En prose
Cette note relative au poème en prose part d’une réflexion sur le syntagme qui le désigne pour interroger la préposition en. L’auteur y voit la triple marque d’un travestissement, d’un déplacement linguistique et d’un débordement propre à la poésie. Le tout synthétisé dans le terme de retrempe employé par Mallarmé pour désigner l’acte de revivifier la poésie dans une altérité.
Adrien Cavallaro, Les « proses » de Segalen : l’origine et la distance
Cet article explore une pratique de première importance dans la création poétique de Segalen : ce qu’il appelle la « prose », à une époque où l’emploi de ce terme est particulièrement flottant. Segalen pense en particulier la « prose » comme une étape vers l’invention de formes qui marquent le passage véritable à l’acte créateur. La « prose » s’immisce dans les domaines discursifs les plus divers, de la correspondance aux ébauches de projets d’envergure, comme Le Fils du Ciel ; elle s’inscrit par ailleurs dans un processus d’écriture original, comme à rebours.
Anton Hureaux, Le poème en prose face à l’histoire : l’exemple de Seuls demeurent de René Char
Cet article aborde la question du poème en prose au XXe siècle à travers l’usage qu’en fait René Char dans Seuls demeurent, en partant d’un constat simple : dans ce recueil de guerre, le rapport entre l’énonciation poétique et l’histoire se noue exclusivement dans les poèmes en prose concentrés et organisés dans la section L’Avant-Monde. Plus qu’une poésie simplement adossée aux circonstances, Char définit, par ce choix formel, une historicité de l’expression poétique, dans laquelle l’apport de la prose reste encore à déterminer. En effet, contrairement à une tradition poétique qui fondait la modernité et l’actualité du poème en prose dans l’orchestration, en acte, d’un conflit entre poétique et prosaïque, Char poétise radicalement la prose. Cette dernière apparaît plutôt comme une forme incarnant le verbe poétique de manière à réévaluer, face à un présent qui en menace l’intégrité, le pouvoir et l’impouvoir de la poésie.
Jean-Michel Gouvard, Le poème en prose, une pratique entropique
L’objet de cet article est de cerner comment la notion assez floue de « poème en prose » fonctionne concrètement dans les productions littéraires des XXe et XXIe siècles, en partant de divers procédés récurrents dans l’oeuvre polymorphe de Paul Éluard. La thèse défendue est que le poème en prose est une pratique « entropique », en ceci qu’il participe de facto à la désorganisation générique de la « poésie », sans que l’on puisse prévoir les moyens qui présideront à cette désorganisation, ni les formes qu’elle engendrera.
Michel Murat, Poème en prose, fin de partie
Le poème en prose se constitue comme genre en 1946 avec l’anthologie de Maurice Chapelan. Char et Ponge l’orientent alors dans des voies différentes : Char le poétise en l’associant au fragment ; Ponge abandonne le poème au profit d’un processus d’écriture en prose. Les poètes contemporains n’ont pas surmonté cette divergence, et leurs choix montrent que le moment historique du poème en prose est révolu.
Luigi Magno, Mécaniques du vivant. Notes sur Suzanne Doppelt #1
Cet essai tente d’esquisser une lecture de l’une des acceptions possibles des mécaniques chez Suzanne Doppelt. A travers Amusements de mécanique et, surtout, Quelque chose cloche, il revient sur la référence à l’encyclopédie au XVIIIe siècle ainsi que sur la philosophie présocratique pour tracer les contours de ce qu’on propose d’appeler des mécaniques du vivant. La réflexion interroge ainsi les logiques et les références dont ces travaux de Doppelt se nourrissent et qu’ils utilisent pour se déployer dans une ambiance foncièrement anarchique et épistémique à la fois.
Christian Doumet, En prose
This paper is about prose poem. It addresses the French phrase « poème en prose », in order to investigate the preposition en, which seems to involve three different meanings : a disguise, a linguistic shift and a disruption of poetry itself. Those three meanings can be summed up in the word retrempe used by Mallarmé to convey the way poetry strengthens itself in otherness.
Adrien Cavallaro, Segalen’s “proses” : origin and distance
This article explores a practice of primary importance in the poetic creation of Segalen: the“prose”, at a time when the use of this term is particularly unstable. Segalen thinks in particular of “prose” as a step towards the invention of forms that mark the true passage to the creative act. The “prose” interferes in the most diverse discursive domains, from the epistolary correspondence to projects such as Le Fils du ciel ; it is also part of an original writing process, “à rebours”.
Anton Hureaux, Prose poem facing history : the example of René Char’s Seuls demeurent
This article addresses the question of prose poetry in the twentieth century through René Char’s use of prose poems in Seuls demeurent. We start from a simple observation: in this wartime collection, the relationship between poetic enunciation and history is only established in the prose poems found in the section L’Avant-Monde. By this formal choice, Char defines a historicity of the poetic expression, in which the contribution of the prose is still to be determined, rather than producing poetry simply representing historical circumstances. Char radically poetizes the prose, at a point of time when the poetic tradition which founded the modernity and the actuality of the prose poem in the staging of a conflict between poetry and prose. Prose rather appears like a form incarnating the poetic verb in order to reassess the power and the impotence of poetry, facing a present threatening its integrity.
Jean Michel Gouvard, The prose poem as an entropic practice
In this article, I describe how the ghost idea of “prose poem” concretely interferes in literary works of the 20th and 21st centuries. To do so, we will focus on several recurring processes which shape Paul Éluard’s polymorphous poetry. My main thesis is that prose poem is an entropic practice which contributes to the deconstruction of the notion of “poetry”, by implementing unpredictable forms through unpredictable means.
Michel Murat, Prose poem / endgame
The prose poem was established as a genre in 1946 with the anthology by Maurice Chapelan. Char and Ponge then took it in different directions : Char poetised it by associating it with the fragment ; Ponge abandoned the poem in favour of a process of writing in prose. Contemporary poets have not overcome this divergence, and their choices show that the historical moment of the prose poem is over.
Luigi Magno, The Mechanics of Living. Notes on Suzanne Doppelt #1
This essay focuses on one of the possible meanings of mechanics in Suzanne Doppelt work. Through Amusements de mécanique and, above all, Quelque chose cloche, this paper wants to show how the reference to the French 18th century encyclopaedia as well as to pre-Socratic philosophy are important in order to point out what we propose to call the mechanics of the living. It thus questions the logics and references that Doppelt’s work feeds on and that it uses to unfold in an atmosphere that is fundamentally anarchic and epistemic at the same time.
Christian Doumet
Christian Doumet est professeur émérite à Sorbonne Université. Il a été directeur de programme au Collège international de philosophie et professeur invité dans plusieurs universités, aux États-Unis et au Japon. Outre des poèmes et ouvrages en prose, il est l’auteur d’essais sur la littérature, en particulier sur Victor Segalen, mais aussi sur l’esthétique musicale et la peinture.
Adrien Cavallaro
Adrien Cavallaro est maître de conférences en littérature française à l’université Grenoble Alpes. Spécialiste de poésie des xixe et xxe siècles (en particulier de Rimbaud, Verlaine, Segalen et Aragon), il est l’auteur de Rimbaud et le rimbaldisme (Hermann, 2019) et codirigé un récent Dictionnaire Rimbaud (Classiques Garnier, 2021). Il a également contribué à éditer les OEuvres de Victor Segalen dans la « Bibliothèque de la Pléiade », en 2020. Ses travaux portent actuellement sur les questions de réception de la poésie, sur l’articulation entre poésie et pensée, et sur les diverses manifestations de la polémique en poésie aux xixe et xxe siècles. <adrien.cavallaro@univ-grenoble-alpes.fr>
Anton Hureaux
Anton Hureaux est Professeur agrégé de Lettres Modernes et doctorant contractuel à l’Université Sorbonne Nouvelle où il réalise une thèse, sous la direction de Henri Scepi, intitulée « Politique des écritures poétiques en prose de Baudelaire à Char ». Ses travaux portent sur les rapports entre poésie et politique, la poétique du poème en prose et des proses des poètes, ainsi que sur les régimes de spécificités des écritures poétiques. Il a, entre autres, publié dans la revue Romantisme (n. 195, vol. 2022/1) un article intitulé « Vers et prose dans les discours poéticiens du XIXe siècle », et a organisé le colloque « Image – poème en prose – image » (9 et 10 novembre 2022). <antonhureaux@gmail.com>
Jean-Michel Gouvard
Jean-Michel Gouvard est Professeur de Langue et de Littérature françaises à l’Université de Bordeaux-Montaigne (France) et Associate Fellow à l’Institute of Languages, Cultures & Societies (University of London, Royaume-Uni). Il est membre de Plurielles (UR 24142). Après une première période consacrée à l’étude des formes poétiques, ses travaux portent désormais sur les interactions entre la création littéraire et les représentations culturelles, sociologiques et politiques, du Second Empire à nos jours. Il a publié entre autres « Capitale de la douleur » de Paul Éluard. Formes de la poésie / Poésie des formes (Presses Universitaires de Bordeaux, 2013), Charles Baudelaire. Le Spleen de Paris (Ellipses, 2014), La Versification française (PUF, « Quadrige », 2015) et Le Nautilus en bouteille. Une lecture de Jules Verne à la lumière de Walter Benjamin (Pontcerq, 2019). <jmgouvard@gmail.com>
Michel Murat
Michel Murat est professeur émérite de littérature française à la Faculté des Lettres de Sorbonne Université, et à l’École Normale Supérieure. Ses travaux ont porté sur Julien Gracq, sur l’histoire des formes poétiques, sur le surréalisme, puis sur l’histoire littéraire et le romanesque des lettres. Il travaille actuellement à une histoire de la poésie récente, ainsi qu’à la constitution d’une base d’archives sonores de la poésie française. <mmurat@wanadoo.fr>
Luigi Magno
Luigi Magno enseigne la littérature française à l’Université Roma Tre. Ses recherches portent sur les écritures contemporaines résultant d’une déstabilisation des définitions traditionnelles de la poésie. Il est l’auteur d’articles et d’essais sur, parmi d’autres, Francis Ponge, Denis Roche, Emmanuel Hocquard, Jean-Marie Gleize, Nathalie Quintane, La Rédaction, Jérôme Game, Edouard Levé.
Interviews/Interviste
Luigi Magno, Andrea Schellino, Sur une forme périmée ? Entretien avec Jean-Marie Gleize
Comptes rendus/Recensioni
J. Huppe, J.-P. Bertrand, F. Claisse (dir.), Réarmements critiques dans la littérature française contemporaine (M. F. Ruggiero)
Y. Clavaron, O. Gannier (dir.), Lieux de mémoire et océan. Géographie littéraire de la mémoire transatlantique aux XXe et XXIe siècles (C. Biondi)
G. Perec, Lieux, avant-propos de S. Richardson, préface de C. Burgelin, éd. et introduction par J.-L. Joly (M. Amatulli)
Notes de lecture/Schede
ISBN 9788822269164