60Printemps / Primavera 2011
Sommaire / Indice
François Bruzzo, Marronnages d’aujourd’hui. Sur les traces de l’écriture de Glissant et de Chamoiseau
Ilaria Vitali, Les Liaisons dangereuses au miroir du XXIe siècle: une réécriture contemporaine de Laclos
Dina Catenaro Catenaro, Spazi interiori e spazi esteriori nell’opera di Danielle Collobert
Diane Henneton, Une « illumination qui montre le vide »: les glaces du Grand Balcon
Maria Anna Mariani, Memoria e oblio in Enfance di Nathalie Sarraute
Elisabetta Orsini, Figure del conoscere e del creare. L’arca di Marcel Proust
Fabrizio Impellizzeri, Polyphonie et polymorphisme felins dans l’œuvre de Colette
Sophie Guermès, La Bouche de la vérité: Rome dans la poésie de Victor Hugo (1846-1878)
Paolo Budini, Il sonetto in versi rapportati
François Bruzzo, Marronnages d’aujourd’hui. Sur les traces de l’écriture de Glissant et de Chamoiseau
Marronnage et créolisation sont les « personnages-concepts » les plus notoires d’Édouard Glissant et de Patrick Chamoiseau. S’inspirant de ces stratégies originelles de rébellion à la Traite des esclaves qui est au coeur du montage symbolique de l’entreprise coloniale, ils opèrent en fait une contre-offensive créole très actuelle. Un travail de démontage symbolique de l’entreprise coloniale montre certains rouages culturels et politiques qui actionnent encore aujourd’hui la machinerie de la mondialisation : la réflexion de Glissant dont le Discours antillais est la pierre angulaire est ici particulièrement précieuse. La créolisation que met en scène Texaco interroge les principes possibles d’une telle décolonisation de la symbolique et de l’imaginaire occidentaux dans la production des villes et des discours.
Ilaria Vitali, Les Liaisons dangereuses au miroir du XXIe siècle: une réécriture contemporaine de Laclos
Dans la constellation de variations, réécritures, adaptations des Liaisons dangereuses qui s’offre au lecteur du XXIe siècle, cet article restreint l’analyse à son dernier avatar: il s’agit de Nous sommes cruels, un roman épistolaire de Camille de Peretti qui s’appuie sur l’hypotexte laclosien pour raconter le passage de l’adolescence à l’âge adulte. Cette étude considère non seulement comment l’auteur a transposé ce roman «historiquement situé et anachroniquement réinventé» dans un cadre contemporain, mais aussi – et surtout – comment les enjeux de l’oeuvre ont changé au tournant de ce nouveau millénaire. S’il est vrai, comme Michel Delon le rappelle, que «notre époque ne cesse de chercher son reflet dans le libertinage d’il y a deux siècles», l’exploitation qu’en fait Camille de Peretti dans son roman va au-delà de ce désir pour acquérir de nouveaux sens.
Dina Catenaro Catenaro, Spazi interiori e spazi esteriori nell’opera di Danielle Collobert
L’article se propose de montrer l’évolution de l’oeuvre de Danielle Collobert, écrivaine française des années ’60-’70, à partir de la relation entre les espaces extérieurs évoqués dans les textes de la narratrice (depuis Cahiers jusqu’à Survie) et son espace intérieur. Il se focalise en particulier sur le lien que Collobert établit entre la perception de l’espace et son écriture. À travers une opération d’épuration du langage, les oeuvres ici analysées montrent une progressive tension vers le silence qui se traduit dans le choix final du suicide.
Diane Henneton, Une « illumination qui montre le vide »: les glaces du Grand Balcon
Dans Le Balcon, qui est de l’aveu même de l’auteur une «glorification de l’Image et du Reflet», le miroir prend les proportions de l’espace entier de la scène. Pourtant, peu parmi les commentateurs de ce drame, il est vrai très riche de significations, se sont arrêtés sur le motif du miroir. La dramaturgie du politique est l’aspect de la pièce qui a été le plus largement commenté car il amorce dans l’oeuvre de Jean Genet un tournant vers l’engagement. Mais il y a dans Le Balcon une tension entre ouverture (la révolte) et fermeture (matérialisée dans l’espace scénique), entre dissolution du personnage dans son reflet et absorption de l’individu par le collectif, entre repli sur soi et révolte sociale. Le miroir participe de ces tensions en matérialisant la fermeture et le repli sur soi. Dans cet article, l’auteur commente les différentes formes que prend ce repli face au miroir et elle montre comment cette pièce peut être lue comme une confidence, mais cryptée, de l’auteur sur les six années de stérilité qu’il vient de connaître, une fois son oeuvre romanesque – et pour une large part autobiographique – achevée.
Maria Anna Mariani, Memoria e oblio in Enfance di Nathalie Sarraute
Enfance de Nathalie Sarraute se présente comme une mosaïque de soixante-dix souvenirs. Entre un souvenir et l’autre, des espaces blancs reproduisent typographiquement les zones possédées par l’oubli: espaces blancs pour ce qui n’a jamais été fixé; espaces blancs pour ce qui a été englouti par le passage du temps. De cette façon, Enfance montre comment l’oubli s’intègre activement au travail de la mémoire, et en même temps montre de quelle manière s’organise ce travail: comme une sélection naturelle du temps, obtenue grâce à un mélange de raison et d’émotion. L’essai, construit comme un contrepoint entre la critique littéraire et la phénoménologie, balance l’analyse détaillée de l’oeuvre de Sarraute avec une réflexion théorique sur le genre autobiographique.
Elisabetta Orsini, Figure del conoscere e del creare. L’arca di Marcel Proust
Proust avait une passion pour les instruments optiques en général; dans son écriture, les références à la vision – et particulièrement aux instruments de la vision – sont récurrentes pour indiquer quels sont les différents degrés de connaissance, et combien celle-ci peut devenir subtile. Proust déclarait se servir du télescope pour regarder ces faits corpusculaires et presque de l’ordre du micron que sont ces mouvements de l’âme humaine. Il est certain que pour regarder les choses quand on est dans une chambre capitonnée de liège, il vaut mieux avoir un télescope plutôt qu’un microscope: ce dernier en effet traduit une commune appartenance au monde terrestre, là où le télescope révèle une distance impossible à combler. Pour cette raison, Proust ne pouvait rester insensible à une histoire comme celle de l’Arche, dans laquelle un état d’isolement coïncidait symboliquement avec le secret d’un salut. L’Arche était le paradigme parfait du lieu distant et détaché du monde. Comme les pièces que Proust aimait pour écrire, l’Arche était un espace hors de l’ordinaire, exceptionnel, qui n’avait rien à voir avec des conditions de vie normale, ce qui en faisait un excellent observatoire.
Fabrizio Impellizzeri, Polyphonie et polymorphisme felins dans l’œuvre de Colette
L’aptitude à rechercher la correspondance entre l’être humain et la nature est une qualité très répandue et connue chez Colette. Son écriture féline tisse, tout au long de sa très vaste production romanesque, un parfait dialogue des bêtes qui lie à jamais la femme de lettres au monde animal qui l’entoure. Au sein de la littérature française, Colette manifeste ainsi un mérite plutôt rare: celui d’avoir su conservé la sensibilité animale sans jamais l’humaniser comme l’avaient fait auparavant La Fontaine et bien d’autres. Chaque bête reste douée de son propre langage et ne se défait jamais de sa réceptivité matérielle. Bien au contraire, c’est le monde animal, et surtout celui des chats, qui prête au génie littéraire de Colette toutes les qualités sensuelles et sensibles qui contribueront à créer une écriture unique en son genre: polyphone et polymorphe. Imprégné de senteurs végétales et animales, le style de l’écrivain en ressort vivace et musclé, et témoigne de même d’une chaleur animale et d’une rondeur sinueuse qui créent autour de son écriture un véritable lyrisme sensuel. Sans la contribution de l’élément naturel et charnel du chat son récit aurait été sans aucun doutesensiblement écourté de vocalités, de sensations et de perceptions frémissantes.
Sophie Guermès, La Bouche de la vérité: Rome dans la poésie de Victor Hugo (1846-1878)
En marge des grands poèmes où s’ouvre la question du divin, Victor Hugo, en exil, a écrit des textes d’une violence inouïe pour dénoncer l’injustice et la corruption de «l’alliance du trône et de l’autel», retrouvant à la fois l’Apocalypse et l’Inferno (La Vision de Dante, dans La Légende des siècles), ou encore la force polémique de Juvénal (L’Égout de Rome, dans Les Châtiments). Et de retour en France, jusqu’en 1878, il a continué d’opposer au pouvoir temporel, gâté par les alliances politiques et les intérêts financiers, le «pontificat de l’infini», domaine souverain du poète.
Paolo Budini, Il sonetto in versi rapportati
Analyse de trois sonnets en vers rapportés: trois sonnets créés par Du Bellay, Jodelle, Sponde. Une analyse orientée sur les diverses structures formelles (relations entre strophes et phrases, système de rythmes et de rimes, rapportatio, anaphores, répétitions phonématiques) régissant les textes. Une micro-analyse strictement linguistique, qui cherche à montrer la possibilité de lire dans un sonnet en vers rapportés, à côté du sens (interprétation du réel évoqué par le discours) et du son (rythme,mélodie, harmonie) – ce que le sonnet offre rituellement au lecteur comme n’importe quel texte en vers – la figure géométrique bidimensionnelle (inventée chaque fois par l’auteur), que dessine la suite des mots investis par la rapportatio: une icone évoquant une forme architecturale.
Interviews/Interviste
Jean-François Plamondon, Remontant les rus de l’enfance: interview avec Kim Thuy
Comptes rendus/Recensioni
R. Heyndels (dir.), Les Écrivains français et le monde arabe (M.C. Gnocchi)
B. Viard, Houellebecq au laser. La faute à Mai 68 (F. Lorandini)
P. Cifarelli, M. Colombo (a cura di), «Chascun homme est ung petit monde». Études de Gianni Mombello sur les XVe et XVIe siècles (G. Brunetti)
Articoli pubblicati nei numeri 56-60 (F. Torchi)
Pubblicato con contributi di: Università di Bologna e Dipartimento di Lingue e Letterature Straniere Moderne.