58Printemps / Primavera 2010
Exilées, expatriées, nomades…
sous la direction de
Alessandro Corio et Ilaria Vitali
Sommaire / Indice
Alessandro Corio, Ilaria Vitali, Écrire l’errance au féminin
Veronic Algeri, De la langue de l’autre à l’autre langue: l’écriture polyphonique d’Assia Djebar dans La Disparition de la langue française
Julie Assier, Les migrances du moi: Calomnies de Linda Lê
Rachele Branchini, Les jumeaux d’Agota Kristof ou les masques ironiques du déracinement
Mbaye Diouf, Écriture de l’immigration et traversée des discours dans Le Ventre de l’Atlantique de Fatou Diome
Emilie Guillerez, Doubles, dualité et effets miroir dans l’oeuvre de Shan Sa
Christa Jones, Alger – Paris: l’écriture de la vie face à la mort dans Le Premier jour d’éternité et Paris plus loin que la France de Ghania Hammadou
Samia Kassab-Charfi, «Pays en désordre» et archipels intimes: Colette Fellous et la transterritorialisation
Vassiliki Lalagianni, Exil, autobiographie et mémoire chez l’écrivaine grecque Mimika Kranaki
Daniel S. Larangé, Du pays d’où l’on part au pays où l’on vient… Calixthe Beyala, expatriation et quête d’identité
Elena-Brandusa Steiciuc, La Roumanie des années staliniennes dans les écrits de deux «voix de l’exil»: Rodica Iulian et Oana Orlea
Ilaria Vitali, (Horti)culture de l’exil: errances linguistiques et jardinages littéraires chez Vénus Khoury-Ghata
Veronic Algeri, De la langue de l’autre à l’autre langue: l’écriture polyphonique d’Assia Djebar dans La Disparition de la langue française
Après son Indépendance, l’Algérie s’engage dans une politique d’arabisation. À partir de 1978, l’interdiction de la langue française se radicalise, se répercutant sur la vie de nombreux intellectuels algériens. Assia Djebar, qui enseigne alors à l’Université, part s’installer en France comme «réfugiée linguistique». C’est le thème du roman La Disparition de la langue française (2003) dont l’auteur fait part à son lecteur, comme le protagoniste, un Algérien de retour à sa casbah après 30 ans d’exil en France, à son amoureuse. Les lieux de l’enfance étant désormais aphasiques, l’écriture littéraire devient le seul endroit où peut s’écrire l’histoire d’une conscience exilée. Au prisme de la notion de «polyphonie», inspirée des études de Julia Kristeva, l’analyse de ce roman montre que l’histoire de soi, qui tangue entre plusieurs langues, aux aléas de l’histoire postcoloniale, s’écrit dans une autre langue, langue de l’écriture littéraire et langue de l’Autre.
Julie Assier, Les migrances du moi: Calomnies de Linda Lê
Dans le roman Calomnies, deux voix narratives se font écho dans l’expression de l’étrangeté et du dédoublement que suscite l’expérience de l’exil. Déterritorialisés, esseulés, condamnés à l’oubli, les personnages de Lê s’efforcent de renaître dans une langue et une culture autres. Mais sous le masque de la fiction, l’écrivaine s’ingénie à réécrire voire réinventer sa propre expérience. L’enjeu de ce roman réside ainsi dans le dépassement, la transfiguration, la transmutation de sa propre histoire pour atteindre l’universel.
Rachele Branchini, Les jumeaux d’Agota Kristof ou les masques ironiques du déracinement
En relisant La Trilogie des Jumeaux d’après les manuscrits confiés par Agota Kristof aux Archives Littéraires Suisses de Berne, l’article se propose de montrer le lien existant entre l’expérience du déracinement vécu par l’auteure et le choix du thème de la gémellité.
Mbaye Diouf, Écriture de l’immigration et traversée des discours dans Le Ventre de l’Atlantique de Fatou Diome
S’arrachant de la camisole de force féministe, la littérature féminine africaine interpelle, désormais, l’Africain(e) en sujet. À l’instar de Fatou Diome, la jeune génération de romancières africaines plonge son discours littéraire dans les méandres et les soubresauts d’une Afrique en peine d’espoir et de perspectives. Un roman comme Le Ventre de l’Atlantique invente de nouvelles modalités d’un dire textuel qui aborde le sujet de l’immigration en réexaminant le rapport «misère africaine»/«eldorado occidental». Ce nouveau dire textuel inscrit la référence du «chez soi» dans une circularité parodique et idéologique, suggérant par là que le drame de l’immigration se pense, se rêve et se vit aussi bien en Occident qu’en Afrique. Pour tracer une axiologie de l’immigration, le Ventre de l’Atlantique déstructure littéralement le modèle sportif occidental en (re)territorialisant le lieu onirique dans un nouvel espace langagier et ludique africain.
Emilie Guillerez, Doubles, dualité et effets miroir dans l’oeuvre de Shan Sa
Shan Sa, romancière née en Chine en 1972, a choisi par conviction politique de «renaître» en France après les événements de Tian An Men. Chinoise de sang, française d’adoption et japonaise de cœur, l’écrivain a donné naissance à une œuvre sous-tendue par la multiplicité des cultures. Dans les trois romans dont il est question ici, Les quatre vies du saule (1999), La joueuse de go (2001) et Les Conspirateurs (2005) Shan Sa explore des thématiques récurrentes, notamment l’exil, la confrontation avec l’altérité et la quête d’identité. Ces thématiques sont mises en exergue par des procédés littéraires constants: figures de doubles, dualité et effets miroir forment en effet le substrat de cette littérature en équilibre entre Extrême-Orient et Occident.
Christa Jones, Alger – Paris: l’écriture de la vie face à la mort dans Le Premier jour d’éternité et Paris plus loin que la France de Ghania Hammadou
Cet article examine les enjeux de l’écriture de l’exil dans Le premier jour d’éternité et Paris plus loin que la France, romans activistes de Ghania Hammadou, journaliste et romancière algérienne. Chez Hammadou, le non-lieu de l’exil se traduit par une écriture mouvante, qui se situe à mi-chemin entre le genre journalistique et romanesque, ainsi qu’entre deux pays, l’Algérie et la France. Ses romans qui s’inscrivent dans le courant de l’écriture d’urgence, d’apaisement et de survie, véhiculent une pensée angoissée, dans la mesure où ils reflètent son parcours de journaliste et sa responsabilité de rendre compte de la réalité algérienne des années 1990, ainsi que de la réalité villageoise. Alors que l’écriture d’urgence ancrée dans le souvenir d’une immédiateté extrêmement violente et angoissante reflète l’urgence de vivre d’Aziz qui refuse de se laisser prendre dans le piège de la peur, l’écriture dans Paris plus loin que la France est plus mesurée, plus sereine.
Samia Kassab-Charfi, «Pays en désordre» et archipels intimes: Colette Fellous et la transterritorialisation
Écrivaine juive tunisienne, Colette Fellous expérimente la migration par un tressage géo-scriptural de lieux séparés, mais qui tremblent, s’aimantent, fondant une géographie archipélique (Glissant) où les villes continentales deviennent de petites îles reliées par le fil de la mémoire. La figure de l’Anti-Atlas pointe alors le refus de porter le poids des tracés cartographiques conventionnels et signale la déterritorialisation topique par une poïétique tour à tour cumulative et défaisante, frappée du syndrome de Pénélope, dont le mouvement alternatif dit la difficulté de conjoindre l’acceptation du legs communautaire et la soif de s’en libérer. Dystopique, sa phrase détrace l’origine, s’en désamarre. Par son hyperlaxité, cette phrase porte en elle les traces de l’élasticité migratoire, devenant ce serpentin mélodique qui, en construisant le dédale du texte, ouvre au labyrinthe de la mémoire.
Vassiliki Lalagianni, Exil, autobiographie et mémoire chez l’écrivaine grecque Mimika Kranaki
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Daniel S. Larangé, Du pays d’où l’on part au pays où l’on vient… Calixthe Beyala, expatriation et quête d’identité
L’écriture offre à Calixthe Beyala la possibilité de régénérer son identité. Alors que l’Afrique l’a fait naître comme un «être de parole», la France lui a reconnu une identité littéraire. L’écrivaine-griot a pu ainsi se construire au fil de ses romans et de son activité associative une image de personnage médiatique en adoptant la cause des «sans noms». Son combat littéraire souffre d’un paradoxe assumé et dépassé: son écriture recourt aux procédés les plus communs à la vox populi comme le plagiat et le cliché tout en versant dans le registre populaire afin de dénoncer les dangers d’une mondialisation qui formate l’humanité égoïste par la valorisation d’une culture consumériste et hédoniste.
Elena-Brandusa Steiciuc, La Roumanie des années staliniennes dans les écrits de deux «voix de l’exil»: Rodica Iulian et Oana Orlea
Le présent article se propose d’aborder les romans de deux auteures de la diaspora roumaine, exilées en France au début des années 80: Rodica Iulian et Oana Orlea. Des titres comme Les hommes de Pavlov de la première et le roman témoignage Les Années volées, ou bien Un sosie en cavale de la seconde, abordent la thématique de la dictature et du régime concentrationnaire instaurés en Roumanie pendant les années staliniennes, au tout début du totalitarisme dans leur pays natal.
Ilaria Vitali, (Horti)culture de l’exil: errances linguistiques et jardinages littéraires chez Vénus Khoury-Ghata
Née au Liban en 1937, à Paris depuis 1972, Vénus Khoury-Ghata a su exploiter son «exil» comme un laboratoire scripturaire. Dans Orties, sorte d’«herbier» en forme de poème, elle fait pousser sur ses pages un Liban de pierres et de chiendent, qui se lie sans couture visible non seulement à une histoire familiale complexe et tourmentée, mais aussi à l’expérience de la guerre civile, des migrations et des exodes de masse. Le voyage aller/retour Paris-Beyrouth se fait, sur le papier, par un flux de conscience qui monte et démonte les fragments autobiographiques, ainsi que par des réflexions métatextuelles qui multiplient les prises de vue. Dans Orties revivent toutes les langues de l’écrivaine: l’arabe «houleux» du père, le «franbanais» de la mère, l’araméen «caillouteux» des réfugiés, puis le langage intime entre les frères enfants, «tintant telles billes de verre». Un jeu frappant de regards croisés, qui se fait par la réflexion langagière et métatextuelle, sonde l’espace de l’exil entre souvenirs «urticants» et délivrance de l’écriture.
Interviews et inédits/Interviste e inediti
Agota Kristof, Manuscrits du Grand Cahier
Maria Maïlat, Lettre aux membres du jury du Prix Aristote et Retour au pays de la révolution oubliée
Comptes rendus/Recensioni
A. Fidecaro, H. Partzsch, S. Van Dick, V. Cossy (dir.), Femmes écrivains à la croisée des langues / Women writers at the Crossroads of Languages (1700/2000) (L. Pattano)
C. Boustani, Oralité et gestualité. La différence homme/femme dans le roman francophone (D. Catenaro Catenaro)
J. Ceccon, M. Lynch (dir.), Latitudes. Espaces transnationaux et imaginaires nomades en Europe (V. Amadessi)
A. Laserre, A. Simon (dir.), Nomadismes des romancières contemporaines de langue française (I. Vitali)
M. Fernandes, Les écrivaines francophones en liberté. Farida Belghoul, Maryse Condé, Assia Djebar, Calixthe Beyala (A. Corio)
M. Bey, Pierre, Sang, Papier ou Cendre (C. Imbroscio)
Pubblicato con contributi dell’Università di Bologna, del Dipartimento di Lingue e Letterature Straniere Moderne e della SSSUB.